Weill André
Maintenant l'enseignement du yoga

Toi et moi

Observons que toutes les postures sur le tapis relèvent du temps et de l’espace. Elles ont un début et une fin. Elles ne sont donc pas la Vérité. Les postures, et leurs chutes, sont des enseignements montrant le chemin. Les postures ne sont pas des objectifs à atteindre plus tard. Ce sont des invitations à vous libérer maintenant.

Pratiquer maintenant, volontairement et intensément la posture pour obtenir un mieux demain, cela concerne le monde de l’avoir, du qualitatif, du comparatif. Et c’est bien ainsi. Prendre soin du voyageur fait partie du voyage. L’endurcir, le masser, le nourrir, l’étirer, l’oxygéner. Qui veut voyager loin …

Toi et moi
Prendre soin, de moi comme de toi, cela s’appelle l’amour et la compassion. Et la pratique de l’attention à l’un et à l’autre continue son chemin quotidien … jusqu’à l’arrêt de la vision séparée. Jusqu’à l’arrêt de la confusion entre toi et moi, entre dedans et dehors. Jusqu’à l’arrêt de la confusion entre être et avoir. Cela peut prendre un seconde. Comme cela peut prendre perpète. Voire plus. Alors c’est la fin de la dépendance au jugement.

Car le plus et le moins ne concerne pas l’être, mais seulement l’avoir. Toutes les motivations qui amènent le prisonnier sur le tapis sont de l’ordre de l’avoir. Avoir une récompense en permission anticipée de sortie. Une meilleure santé, un meilleur équilibre, avoir un meilleur sommeil. Avoir moins de douleur, moins de peur, moins d’inquiétude. Effectivement la pratique de yoga, évite les blessures à venir, adoucit les vagues de la cellule. Mais n’empêche pas l’apparition des tsunamis individuels et collectifs. Et encore moins le tsunami final du personnage ni de sa planète.

Et puis un jour, le pratiquant se surprend à ne plus dépendre de la houle. Il épouse par le cœur les pleins et les déliés de la météo carcérale. Il réalise qu’il n’y a pas les uns sans les autres, ni jour sans nuit, ni naissance sans mort. Il réalise qu’il n’y a pas de bourreau sans victime. Et que les deux font partie du même grand Océan. Un jour il réalise que dans l’expression « bien-être » il y a un mot de trop. La houle n’est plus séparée de l’océan. La vision paradoxale se termine. Il descend du bateau, il est arrivé à bon port, chez lui.

L’arbre et la pirogue
Tout homme est tiraillé entre deux besoins. Le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est-à-dire de l’enracinement, de l’identité. Les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue
Être tiraillé entre l’arbre et la pirogue, c’est le propre de la dualité. Tant que le voyageur est dans la pirogue, il est bon pour lui de pagayer régulièrement, sans forcer, sans se blesser. Si le gout de la pagaie ne lui est pas donné, il peut changer de batellerie et hisser la grand-voile. Mais toujours « quotidiennement et régulièrement ».
Dans la galaxie du voyage spirituel, il y a des myriades de bateaux. Ce qui importe c’est le gout au bateau. Cela peut être l’assise comme le mouvement. Cela peut être la peinture, la musique, ou la prière. Le tir à l’arc, la lutte et le combat. L’étude, l’éducation, la compassion. La dévotion, l’amitié, le soin. Le silence, la gratitude, la contemplation.

Dans tous les cas, il convient que le voyageur pagaie à cœur nu, avec humilité et sans intention de résultat. Juste par attirance et intuition du geste. Car le plan de navigation du bateau lui est caché. Source ou Océan ? Sa tête ne saura jamais dire où le geste emmène son cœur.

Les écoles occidentales de yoga privilégient le travail postural. Pourquoi pas ? A condition de pratiquer en longue distance, avec douceur, fermeté et sans blessure. Longue distance ne veut pas dire longtemps, mais patiemment, en absence de temps. Que celui qui pagaie ne cesse de pagayer tant que c’est l’heure de le faire.

Et puis un jour, la pirogue arrive au port. Le prisonnier se reconnait en assise sur l’arbre qu’il n’a jamais quitté. C’est la fin du voyage, la fin du temps, le commencement de soi. Celui qui goutera ces paroles ne goûtera pas de la mort. Namasté !