Weill André
Retournement, chemin du samâdhi

La voie de l’ivresse

Le divin est inqualifiable. Qualifier le divin revient à nier le divin. Ou a limiter l’infini. Dans le geste du retournement, on expérimente que l’infini n’est pas un qualificatif, mais une nature. Tout ce qui est inqualifiable, infini, indivisible, atemporel, non impacté par la souffrance, n’est rien d’autre que des tentatives de notre pauvre langage à nommer le divin.
Dieu est indivisible. Ou bien l’indivisible est Dieu. Relation biunivoque disent les mathématiques.
L’infini n’est pas divisible. Car l’infini divisé par deux, c’est encore l’infini. Par nature, il n’y a pas plusieurs infinis, sinon chacun d’eux ne serait pas infinis. Il n’y a rien de compliqué dans le mot infini, c’est juste une convention que se donne le langage limité. Il n’y a jamais d’autre infini que le divin.
Immédiatement après avoir suggéré le retournement sensoriel par la voie de l’effort individuel (I-20), plus ou moins rapide selon l’intensité, Patanjali indique (I-23) une voie alternative : l’abandon au divin. On pourrait croire à une ambigüité, voire un double langage du professeur Patanjali.
Il n’en est rien. Le yoga de Patanjali n’est pas un code civil. Il ne fournit pas une affirmation mais une invitation. Il ne délimite pas un territoire de pratiques, mais invite le prévenu à une infinitude de pratique qui expérimente le samâdhi, l'indifférencié, l’indéfini.
L’expérience passe par la voie de l’effort extérieur, asana pranayama ? Parfait. L’expérience passe par le retournement sensoriel, pratyâhâra ? Parfait aussi. Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse.
Ivresse de l’action, ivresse de la dévotion, ivresse du Aum. Ivresse du japa. Ivresse de toute pratique qui descend dans la grotte du cœur. Pas besoin de l’estampille de la tradition indienne. Ou chamanique. Ou religieuse. Ou laïque. Une rose est une rose quelle que soit le nom que vous lui donniez. Dans la voie du retournement sensoriel, nul besoin d’estampille. Toute pratique, tout enseignement, qui constate l’insoumission au temps et à l’espace, qui constate l’arrêt des vrittis, est, par nature, voie du yoga suprême.